Clovis Cornillac, virtuose de « La contrebasse »

ImageIl est seul sur scène. Enfin presque. Elle se tient là debout, avec ses hanches trop larges, la taille pas assez svelte. Elle ne dit pas un mot, mais qu’est-ce qu’elle en prend de la place. Elle en prend tellement dans sa vie à lui aussi. Trop. Au point d’en faire un homme terriblement seul.

« Tout est de sa faute, je l’aime tellement… ». Sur un texte de Patrick Süskind et une mise en scène de Daniel Benoin, c’est la relation torturée d’un amour exclusif entre une contrebasse et son maître que Clovis Cornillac interprète au théâtre de Paris dans « La contrebasse ».

Contrebassiste fonctionnaire de « l’Orchestre national », l’homme de 40 ans qui nous invite à entrer dans son appartement, et surtout dans sa vie, a tout d’un artiste névrosé : alcoolique – il faut bien se réhydrater -, séparé de sa compagne, éperdument amoureux d’une mezzo-soprano répondant au nom de Sarah mais qui n’a même pas conscience de son existence, consacrant au moins sept heures par jour à son instrument dans son salon insonorisé à 95%, et tout ça pour un salaire de misère (il a quand même trois diplômes se plaît-il à rappeler), l’inventaire de son existence laisse clairement à désirer. On le plaint. On le soutient. On s’apitoierait presque sur son sort. Le mal-être de ce « quelqu’un » ne peut laisser insensible. Ce « quelqu’un » a un peu de nous. Des frustrations, des remises en question, de la folie, de la solitude, de la résignation, des complexes. Comme nous tous, cet homme est en proie à l’échelle sociale, ici symbolisée par l’orchestre – corps hiérarchisé par excellence -, il y réside plus bas que bas, il y plombe en « contrebas » avec sa « contrebasse ». Car son instrument, bien que le plus grand, le plus beau, le plus puissant, le plus indispensable de l’orchestre, restera toujours dans l’ombre. La contrebasse, on ne peut pas s’en passer, mais elle n’est jamais star. On la relègue au fond, vers les coulisses. La cantatrice, les premiers violons, le chef d’orchestre obtiendront toutes les louanges, tous les applaudissements, alors que lui, alors qu’elle…

Le monologue de Süskind est un joyau noir paré de perles philosophiques et comiques. C’est une réflexion sur la condition humaine, sur l’art, sur la musique classique. Brahms, Wagner, Dittersdorf, Mozart, Schubert, les extraits musicaux viennent subtilement illustrer les propos de l’artiste. On jubile d’en apprendre autant sur la contrebasse avec un Clovis Cornillac maître de l’interprétation. Son jeu est physique, extrêmement dosé, réaliste. Il réussit à donner l’illusion que ce « quelqu’un » c’est lui. Ce n’est pas un comédien, c’est un contrebassiste qui trône sur scène.  Lui, elle, tels un vieux couple entre haine et amour. Un duo envoûtant. Si Jacques Villeret avait manié « La contrebasse » comme un virtuose il y a près de vingt ans, Clovis Cornillac démontre qu’il en joue également comme un véritable maestro.

« La contrebasse », au théâtre de Paris, salle Réjane. Jusqu’au 28 mars 2014.

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