« 12 years a slave » : le devoir de mémoire

Image« Je ne veux pas survivre. Je veux vivre ». Son cauchemar aura duré douze ans. De 1841 à 1853, Solomon Northup (Chiwetel Ejiofor) est fait esclave  alors qu’il vivait comme un prince à New-York, avec femme et enfants, tel un dandy blanc, alors promis à une belle renommée en tant que violoniste. À la différence de nombreux livres et films traitant de l’esclavage, cette histoire vraie – le film est tiré du livre autobiographique du même nom, écrit par le véritable Solomon Northup – se déroule bien avant la guerre de Sécession. On le sait moins, mais à la frontière fictive entre états abolitionnistes et états esclavagistes, un trafic s’élaborait : des hommes de mains kidnappaient des citoyens noirs libres afin de les revendre à des propriétaires terriens. Jamais Solomon n’aurait pu imaginer être l’objet d’un plan abject mis au point par deux Sires blancs intéressés par son talent de musicien, et qui le recrutent pour accompagner un cirque qui se tient en Louisiane. Après une soirée trop arrosée, après avoir perdu conscience, le voilà enchaîné, et livré à la merci d’hommes défaits de toute humanité. Le voilà traité comme un simple corps, comme une bête.

On pourrait se dire qu’il s’agit  encore d’un énième film sur l’esclavage. Il n’en est rien. Bien sûr, l’enfer des champs de coton, l’horreur des coups de fouets, la sauvagerie des blancs résonnent comme une vérité monstrueuse traitée et retraitée dans le 7e art – dernièrement dans « Le Majordome » (2013), « Django Unchained » (2012), « Lincoln » (2012), « La couleur des sentiments » (2011). Mais cette réalité demeure si historique, si barbare, si honteuse, qu’elle mérite d’être gravée. Pour ne jamais oublier. Alors oui, même si certaines scènes ont un air de « déjà-vu », on n’en demeure pas moins toujours aussi choqués et bouleversés.

Steve McQueen manie sa caméra comme un poignard, avec des plans fixes qui viennent vous glacer les entrailles – le long plan où Solomon reste pendu à l’arbre, avec pour seul espoir ses pieds qui touchent de leurs pointes le sol, est  terriblement saisissant -, avec une juste distance qui évite de sombrer dans le mélodrame sentimentaliste. Si le film est en proie à quelques longueurs, sûrement voulues par le réalisateur pour matérialiser les douze années d’esclavage, l’intérêt psychologique des protagonistes, bons ou mauvais, donnent au film toute sa portée. Le plus notable est celui de Michael Fassbender –  acteur fétiche de McQueen, à l’affiche dès son premier film « Hunger » (2008) – qui incarne un propriétaire de champs de coton au profil pervers et cruel, dépendant de ses pulsions sexuelles. On regrette à l’inverse l’apparition de Brad Pitt en sauveur abolitionniste canadien, un peu trop hollywoodien, beaucoup trop surfait. Mais on ne doute pas que « 12 years a slave » brillera dans la course aux Oscars.

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